jeudi 18 mars 2010

En attendant l’arrêt Adwords III : Les décisions rendues dans l’affaire CNRRH, Pierre Alexis T… c/ Google

En partenariat avec le site "pmdm.fr", voici un petit rappel des différentes décisions françaises rendues dans l'affaire "CNRRH, Pierre Alexis T... c/ Google" en attendant que la CJCE se prononce le 23 mars prochain.

• Les faits

Les faits de l’espèce étaient somme toute assez classiques. La société CNRRH exerçant une activité d’agence matrimoniale titulaire d’une licence sur la marque « Eurochallenges » concédée par Pierre Alexis T… et exploitant un site internet accessible au nom de domaine « eurochallenges.com » avait constaté qu’en saisissant sa marque dans le moteur de recherche Google, apparaissaient des liens commerciaux dirigeant les internautes vers les sites de sociétés concurrentes. Après avoir vainement adressé une mise en demeure au moteur de recherche, la société CNRRH engagea en juin 2004 une action en contrefaçon de marque à l’encontre de Google et des deux annonceurs utilisant sa marque à titre de mots-clés ainsi qu’en concurrence déloyale à l’encontre des deux annonceurs.

• La décision de première instance : TGI Nanterre, 2e ch., 14 décembre 2004, CNRRH, Pierre Alexis T. c/ Google France et autres; Legalis.net, 2005-3, p. 78, Légipresse 2005, III, p. 150, note J.-F. Gaultier et M. Jourdain; Propr. industr., n°4, avril 2004, comm. 26, P. Tréfigny

Sur la contrefaçon de Google
Le tribunal souligne, en premier lieu, que la reproduction de la marque de la société demanderesse afin de la suggérer à titre de mots-clés à des annonceurs est un usage à titre de marque du signe en cause et, qui plus est, dans une spécialité identique ou similaire au regard de l’activité des annonceurs intéressés par ce mot-clé. En outre, Google ne saurait, en second lieu, tirer profit de l’argument de l’invisibilité de ces mots-clés à l’égard de l’internaute dans la mesure où la page de résultat affiche à côté du site du titulaire des liens commerciaux et que la requête reste affichée dans le champ de saisie.
Concernant la question de l’imputabilité des faits de contrefaçon au moteur de recherche, le tribunal remarque que Google a une part active dans le processus de choix du mot-clé par son outil de suggestion, que « l’automatisation du système est un choix économique de Google et ne peut servir de justification à une absence totale de contrôle conduisant à un acte de contrefaçon » et que, en tout état de cause, Google a un intérêt certain dans cette contrefaçon étant indirectement rémunéré en fonction du choix des mots-clés sélectionnés par ses clients. Le tribunal rejette l’argument d’irresponsabilité fondée sur la qualification d’hébergeur au sens de l’article 6 al. 2 LCEN, les juges considérant que Google agit en tant que régie publicitaire lorsqu’il s’agit de son programme Adwords. Enfin, le tribunal ne tient pas compte de la procédure de désactivation des liens commerciaux sur réclamation des titulaires de marques car cette procédure ne vise que des cas précis de contestation et n’empêche pas d’autres clients de réaliser la même contrefaçon de marque. Le tribunal conclut donc à l’existence d’une contrefaçon.

Sur la contrefaçon des annonceurs
Le tribunal rejette l’argument fondé sur une spécialité différente ainsi que sur la bonne foi dans la mesure où à l’inverse de Google qui peut légitimement ignorer l’activité de la société demanderesse, ses concurrents ne peuvent se retrancher derrière une ignorance peu crédible. Enfin, bien que Google ait proposé la marque de la demanderesse à titre de mot-clé, il appartenait aux annonceurs de ne pas le choisir. La contrefaçon est donc également établie à l’encontre des annonceurs.

Sur la concurrence déloyale des annonceurs
Le tribunal considère également que les annonceurs ont commis des actes de concurrence déloyale car « la finalité [des liens commerciaux] était […] bien de détourner à leur profit la clientèle [de la société demanderesse] en incitant l’utilisateur à visiter leur propre site ».

• La décision d’appel : CA Versailles, 12e ch., sect. 2, 23 mars 2006, Google France c/ CNRRH, Pierre Alexis T., Bruno R., Sté Tiger, disponible sur "juriscom.net", RLDI 2006/16, n°470, L. Costes

Sur l’élément matériel de la contrefaçon
La cour d’appel considère que l’utilisation de la marque « eurochallenges » à titre de mot-clé est un usage contrefaisant dès lors qu’« elle conduit nécessairement à promouvoir des services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement ». Ce faisant, la cour rejette à l’instar des juges du premier degré, l’argument de la non visibilité de cet usage du mot-clé dès lors que la saisie reste affichée sur la page des résultats de recherche. Toutefois, à l’inverse des juges du TGI, la cour d’appel considère que la reproduction n’est pas à l’identique (la marque étant semi-figurative et non purement verbale) ce qui impliquait de démontrer un risque de confusion, en l’espèce, clairement établi selon les juges d’appel dans la mesure où le placement des liens commerciaux n’est pas de nature à éviter tout risque de confusion pour un utilisateur moyennement attentif du moteur de recherche.

Sur la contrefaçon par Google
Dans son analyse de l’imputabilité de la contrefaçon à Google, la cour d’appel rappelle tout d’abord que le moteur agit en tant que « prestataire de référencement publicitaire » et non en tant que simple intermédiaire technique. En outre, Google a suggéré le mot-clé litigieux de manière certes statistique mais ne préjudiciant en rien son devoir d’interdire l’utilisation de mots-clés manifestement illicite consistant en la mise en œuvre de moyens lui permettant que les mots-clés réservés ne constituent pas une contrefaçon de marques françaises en vigueur.
Concernant plus précisément la qualification de contrefaçon, la cour relève que l’usage de Google est de nature commerciale et qu’il est réalisé pour la désignation de services identiques ou similaires, à savoir ceux des annonceurs. La cour ajoute enfin qu’il n’est pas nécessaire que Google soit le bénéficiaire direct de cette contrefaçon tant que celle-ci réside dans son fait personnel. La cour conclut donc à la responsabilité du moteur pour contrefaçon de marque.

Sur la contrefaçon des annonceurs
A l’instar des juges de première instance, la cour d’appel remarque que les annonceurs ont fait le choix de cette marque comme mot-clé pour faire s’afficher leur annonce et que cet usage est de nature à induire en erreur l’internaute d’attention moyenne susceptible de se méprendre sur la nature des « liens commerciaux » entre le site de l’annonceur et celui du titulaire de la marque. Enfin, la cour rejette également l’argument de la bonne foi, inopérante en matière de contrefaçon, et au surplus, peu crédible en l’espèce. Dès lors, la cour conclut à la responsabilité des annonceurs pour contrefaçon de marque.

Sur la concurrence déloyale des annonceurs
La cour confirme également la responsabilité des annonceurs pour concurrence déloyale fondée sur les faits distincts d’usurpation du nom commercial « eurochallenges » et du nom de domaine amenant un détournement de la clientèle du demandeur.

• Les questions préjudicielles : Cass. com., 20 mai 2008, Sté Google France c/ CNRHH, n°06-15,136, FS-P+B, RLDI 2008/39, n°1292, obs. L. Costes; Contrats, conc., consom., n°7, juillet 2008, comm. 187, M. Malaurie-Vignal; RLDI 40/2008, n°1318, p. 6, E. Tardieu-Guigues ; Legiprésse n°263, juillet-août 2009, p. 87, note B. Pautrot.


Saisie d’un recours, la Cour de cassation adressa à la CJCE les questions suivantes relatives à la protection des marques :

« 1°) La réservation par un opérateur économique, par voie de contrat de référencement payant sur internet, d’un mot-clef déclenchant en cas de requête utilisant ce mot, l’affichage d’un lien proposant de se connecter à un site exploité par cet opérateur afin d’offrir à la vente des produits ou services, d’un signe reproduisant ou imitant une marque enregistrée par un tiers afin de désigner des produits identiques ou similaires, sans l’autorisation du titulaire de cette marque, caractérise-t-elle en elle-même une atteinte au droit exclusif garanti à ce dernier par l’article 5 de la première Directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 ? »

« 2°) L’article 5, paragraphe 1, sous a et b de la première Directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques doit-il être interprété en ce sens que le prestataire de service de référencement payant qui met à la disposition des annonceurs des mots-clefs reproduisant ou imitant des marques déposées, et organise par le contrat de référencement la création et l’affichage privilégié, à partir de ces mots clefs, de liens promotionnels vers des sites sur lesquels sont proposés des produits identiques ou similaires à ceux couverts par l’enregistrement de marques, fait un usage de ces marques que son titulaire est habilité à interdire ? »

Il convient de noter que la première question relative à la responsabilité des annonceurs a seulement été posée dans cette affaire.

1 commentaire:

muondo a dit…

très interressant,et très instructif!Le blog est très bien documenté!

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