jeudi 29 avril 2010

Liens commerciaux : victoire légitime d’Amazon grâce une motivation bancale

La cour de District du Colorado vient de rendre sa décision dans une l’affaire « Video Professor, Inc. v. Amazon.com, Inc. » dans laquelle une société éditrice de logiciels pédagogiques pour l’apprentissage de l’informatique poursuivait le géant du commerce en ligne pour avoir réservé des mots-clés reproduisant sa marque afin de déclencher des liens commerciaux redirigeant vers une de ses pages. Bien que cette page contienne des offres légales de vente des produits du titulaire de marque, le problème était qu’Amazon proposait également sur cette même page des offres alternatives. Et c’est en cela que Video Professor s’est senti lésée.
Cette plainte était quelque peu mal partie dans le contexte actuel notamment depuis l’arrêt rendue par la cour d’appel du 2nd Circuit dans l’affaire « Tiffany (NJ), Inc. v. eBay, Inc. » (No. 08-3947-cv (2d Cir. April 1, 2010)) dans laquelle les juges ont considéré, concernant des faits similaire, que « eBay a fait un usage de la marque pour décrire de façon exacte les véritables produits Tiffany offerts à la vente sur son site. […] [En outre,] [i]mposer une responsabilité en raison du fait qu’eBay ne peut garantir la régularité de tous les produits Tiffany offerts sur son site aurait pour conséquence de restreindre de les ventes légales de produits Tiffany ». Dans la présente affaire Amazon, le site de commerce électronique proposait également de façon légale les produits du titulaire et il était, ainsi, également possible de conclure que l’usage des mots-clés s’apparentait à un « usage nominatif » (nominative use) excluant la contrefaçon de marque. Les faits de l’affaire Tiffany étaient, du reste, plus accablants que ceux de la présente affaire Amazon puisque des produits contrefaisants étaient proposés sur le site de vente aux enchères en ligne alors que dans la présente affaire, seule une offre alternative était proposée. Il aurait été alors assez aisé pour la cour du District du Colorado de conclure à l’absence pure et simple de contrefaçon sans passer par le détour contractuel qu’elle emprunte en l’espèce.
En effet, Amazon fonda l’essentiel de son argumentation sur une clause comprise dans son « Manuel du Vendeur » (Vendor Manual) à laquelle avait consenti antérieurement Video Professor lorsque cette société avait décidé de vendre certains de ses produits sur Amazon. Cette clause stipulait que Video Professor concède une licence permettant à Amazon « l’usage mondial, perpétuel et sans rétribution » de ses marques… Par ailleurs était également ajouté au contrat une clause supplémentaire stipulant que la clause de licence survivrait à résiliation en tout ou partie du contrat… Bien que Video Professor ne soit pas un consommateur et que le droit américain sacralise l’autonomie de la volonté des parties, une telle licence semble toutefois caricaturale (pour ne pas dire abusive). Pourtant, le juge Robert E. Blackburn s’en lave les mains en rappelant que, en vertu du droit de l’Etat de Washington applicable au contrat, le juge est tenu d’appliquer les stipulations claires et non ambigües (Black v. National Merit Ins. Co., 226 P.3d 175 (Wash. App. 2010)). Par ailleurs, le juge exclut également l’annulation du contrat en raison de la mauvaise foi de Amazon dans la mesure où Vendor Manual ne se serait vue imposer aucune des clauses prévues dans le Manuel du Vendeur. Enfin, et c’est là que la décision mériterait d’être le plus critiquée, le juge rejette catégoriquement l’argument fondé sur la « substantive unconscionability » (mécanisme permettant au juge de rééquilibrer des contrats défavorisant trop une des deux parties) dans la mesure où la clause en question ne serait pas choquante à un degré tel qu’il est préférable de la modifier. Si une licence perpétuelle, mondiale et sans rétribution et qui plus est entièrement vague sur le type d’utilisation et non résiliable n’est pas une clause choquante, on se demande ce qui pourrait l’être ?...
En définitive, ce jugement passe, nous semble-t-il, complètement à côté de son sujet dans la mesure où (i) d’une part, il aurait été préférable de suivre une jurisprudence maintenant bien établie refusant de reconnaitre la contrefaçon de marque dans de telles circonstances en se fondant sur l’exception (certes un peu fumeuse) d’« usage nominatif » et (ii) d’autre part, le contrat sur lequel se fonde la cour de district aurait peut-être du être au pire ignoré par le juge, au mieux annulé en ce qui concerne la clause de licence d’utilisation des marques. Il serait intéressant que cette affaire soit rejugée en appel, ne serait-ce que pour arriver au même résultat mais de manière plus rigoureuse. Toutefois, la rigueur juridique et la clarté jurisprudentielle ne doivent pas être le souci principal de Video Professor…


Video Professor, Inc. v. Amazon.com, Inc., 1:09-cv-00636-REB-KLM (D. Colo. April 21, 2010)




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