vendredi 9 avril 2010

Affaire « Laxton» : entre vol de noms de domaine et conflit de lois

La cour d’appel du 9e Circuit vient de rendre sa décision dans une affaire « CRS Recovery, Inc. v. Laxton » qui présentait des fait, au final, plutôt complexes, qu’il est possible de résumer de la manière suivante : la société demanderesse avait confié la gestion de deux noms de domaine à une autre société qui, ayant fait faillite, n’avait pu correctement renouveler un des noms de domaine. Un individu enregistra le premier de ces noms de domaine. Il récupéra ainsi l’adresse mail initialement utilisée par l’administrateur des noms de domaine et ordonna alors, par ce biais, le transfert du second nom de domaine à son actif. Ce second nom de domaine acquis frauduleusement fut revendu plusieurs fois jusqu’à ce qu’un certain John Laxton en fasse l’acquisition de toute bonne foi. Confrontée à ce litige, la cour d’appel du 9e Circuit se devait de répondre à deux questions : (i) quelle était la loi applicable en l’espèce ? ;(ii) à qui devait revenir la propriété du nom de domaine frauduleusement dérobé ?
En ce qui concerne le conflit de lois, la société demanderesse située en Virginie exigeait l’application de la loi californienne alors que le défendeur domicilié en Californie demandait l’application de la loi de l’Etat de Virginie. La cour d’appel du 9e Circuit rappelle le test applicable en trois étapes : (1) Les lois en conflit des deux Etats différent-elles substantiellement ? (2) Si oui, y-t-il un conflit d’intérêts entre ces deux Etats quant à l’application de leurs propres lois aux faits d’espèce ; (3) Si oui, lequel de ces deux Etats subirait le plus de dommage à ne pas voir sa loi appliquée en l’espèce (v. Abogados v. AT&T, Inc., 223 F.3d 932, 934 (9th Cir. 2000)). Il convient de noter qu’à défaut de démontrer ces trois étapes, la loi du forum (californienne en l’espèce) est applicable.
La cour d’appel étudia donc en premier lieu si les lois californienne et virginienne différaient substantiellement en l’espèce. La loi californienne traite le nom de domaine en tant que propriété incorporelle (v. Kremen v. Cohen, 337 F.3d 1024, 1030 (9th Cir. 2003)). Concernant la loi virginienne, le défendeur invoquait le fait que celle-ci définit un nom de domaine comme un droit contractuel. Pourtant, la cour d’appel interprète de façon différente la loi de cet Etat (et notamment l’arrêt Network Solutions, Inc. v. Umbro International, Inc., 529 S.E.2d 80 (Va. 2000)) comme définissant le nom de domaine en tant que propriété incorporelle à l’instar de la loi californienne. Dès lors, en l’absence de véritable différence de traitement des faits d’espèce par les lois en conflit, la cour d’appel décide d’appliquer la loi du for c’est-à-dire la loi californienne.
Une fois le conflit de lois résolu, la cour d’appel s’attacha à déterminer laquelle des deux parties disposait d’un droit supérieur sur le nom de domaine. En vertu de la loi californienne, la « conversion » est le fait pour un individu de se comporter en tant que propriétaire d’une chose alors même qu’il ne dispose d’aucun titre de propriété sur celle-ci. Si la « conversion » est démontrée le véritable propriétaire est en droit d’exiger la possession de la chose. Toutefois, la loi californienne reconnaît une exception dite de « l’acheteur innocent » qui échappe à la « conversion » s’il n’a eu connaissance (ou ne pouvait être considéré comme ayant eu connaissance) de l’acte frauduleux d’acquisition du bien par le vendeur auquel il a acheté ce bien. Sur ce point, la jurisprudence fait une distinction subtile entre l’acheteur ayant acquis le bien auprès d’un vendeur ayant commis un « vol » et l’acheteur ayant acquis le bien auprès d’un vendeur ayant commis une fraude (State Farm Mut. Auto. Ins. Co. v. Dep't of Motor Vehicles, 62 Cal. Rptr. 2d 178, 181 (Ct. App. 1997)). Seul le second peut éventuellement se prévaloir de la défense fondée sur la notion d’« acheteur innocent ». La cour d’appel souligne donc qu’en l’espèce la question est de savoir si l’individu qui avait ordonné le premier transfert du nom de domaine a commis une fraude ou bien un vol. Pour répondre à cette question, la cour d’appel décide au final de renvoyer l’affaire devant les juridictions du premier degré qui devront ordonner de plus amples recherches factuelles.
En définitive, la cour d’appel du 9e Circuit nous livre donc une analyse assez fine de faits plutôt complexes même si nous restons quelque peu sur notre faim… Maintenant, il ne reste plus qu’à attendre la décision des juges du premier degré qui devront faire une analyse très subtile pour déterminer si le premier transfert du nom de domaine est un « vol » ou bien une simple « fraude »… Il semble que la clé pour mener une telle distinction soit la volonté du premier propriétaire en ce sens que si il n’a pas cédé volontairement le bien, le transfert de ce bien doit être considéré comme un vol alors que la fraude consiste, semble-t-il, en un transfert frauduleux ayant néanmoins été volontairement opéré par le propriétaire initial. En l’espèce, les faits semblent montrer qu’il s’agit d’un vol puisqu’à aucun moment, le propriétaire initial semble avoir volontairement transféré le nom de domaine. Il convient, toutefois, de rester prudent en l’absence d’éléments de faits plus précis.


CRS Recovery, Inc. v. Laxton, No. 08-17306 (9th Cir. April 6, 2010)




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