mercredi 31 mars 2010

Affaire « e-cic.fr » : sanction d’un cybersquatter absent

C’est un expert bien connu du public français qui vient de rendre une décision dans cette affaire « e-cic.fr » puisqu’il s’agit du professeur de droit Michel Vivant. Cette espèce opposait la banque française CIC à un particulier résidant en Haute-Marne qui avait enregistré fin 2009 le nom de domaine « e-cic.fr ». Le litige donnait donc lieu à une « décision technique » devant le Centre d'Arbitrage et de Médiation de l'Ompi suivant la Procédure Alternative de Règlement des Litiges (PARL) à laquelle est applicable le Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” entré en vigueur le 22 juillet 2008. A noter que le défendeur se rendit pas devant l’expert et ne présenta donc malheureusement aucun argument en défense. Suivant l’article 20 (c) du Règlement précité, il convenait en l’espèce de vérifier que (i) le requérant justifie de ses droits sur l'élément objet de ladite atteinte et (ii) que l'enregistrement ou l'utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers ou aux règles de la concurrence.
Concernant la première de ces conditions, l’expert conclut naturellement que le CIC justifie de ses droits sur sa dénomination sociale, sur son nom commercial, sur son enseigne, sur sa marque ainsi que sur les noms de domaine constitués par le signe « CIC ».
En réalité, le cœur du raisonnement se situait bien évidemment sur la seconde des conditions à savoir l’atteinte aux droits des tiers ou aux règles de la concurrence. L’expert remarque, en premier, lieu que la seule distinction entre les marques du demandeur et le nom de domaine litigieux réside dans l’ajout de la lettre « e » suivie d’un trait d’union juste avant le terme CIC, ce qui démontre une très grande proximité. Dès lors, l’expert souligne de manière intéressante que « le “e” étant compris, par des usagers de l’Internet, comme renvoyant à des activités en ligne (e-commerce, e-business, e-administration, …), cette adjonction est de nature à faire croire, comme le Requérant le souligne, que serait ainsi offert un service en ligne directement lié au Requérant ». Enfin, il ne suffisait plus qu’à établir une présomption de mauvaise foi du défendeur fondée sur la notoriété du requérant (v. Crédit Industriel et Commercial (CIC) contre Pneuboat Sud, Litige OMPI No. DFR2004-0005) et sur la non-utilisation du nom de domaine (v. Confédération Nationale du Crédit Mutuel c. Fernand Guilon, Litige OMPI No. DFR2009-0002) pour conclure que « l’enregistrement fait par le Requérant “n’est pas dicté par la volonté de se démarquer de la dénomination du Requérant mais au contraire de profiter indûment des avantages liés (…) à enregistrer et dans l’avenir à utiliser un nom de domaine ou plusieurs noms de domaine reproduisant ou imitant une dénomination appartenant à un tiers au surplus largement connue du public » (v. Crédit Industriel et commercial c. Stéphane Reynaud, Litige OMPI No. DFR2009-0021).
En définitive, voilà un litige somme toute assez simple avec une décision, néanmoins, très bien motivée. Au-delà du raisonnement, l’enseignement à en titrer semble être le fait que la jurisprudence PARL doit finalement beaucoup aux actions engagées par le CIC devant l’OMPI ainsi que le démontrent les références citées dans la présente décision !


Crédit Industriel et Commercial SA c/ Francois Kerloch, Litige n° DFR2010-0003




mardi 30 mars 2010

Affaire « Rosetta Stone » : quelques éléments sur la défense de Google

L’affaire Rosetta Stone consiste en cette plainte déposée par l’entreprise de logiciel d’apprentissage linguistique devant la cour du District Est de l’Etat de Virginie en juillet dernier à l’encontre du moteur de recherche sur le fondement de la contrefaçon de marque. En fait, ce contentieux est un de plus dans la liste des affaires adwords Outre-Atlantique dans la mesure où Rosetta Stone reproche à Google d’avoir permis à des annonceurs de réserver des mots-clés reproduisant ses marques pour déclencher des liens commerciaux dirigeants vers des sites proposant des contrefaçons ou tout simplement des produits concurrents.
Vendredi dernier, les deux parties viennent de déposer une requête pour que le jugement soit rendu en référé. La première audience aura lieu le 23 avril prochain. Néanmoins, la défense qu’adopteront les avocats de Google semble déjà assez claire. Certains d’entre eux auraient en effet déclaré au Washington Post que le moteur de recherche ne doit pas être tenu pour responsable du contenu des annonces rédigées par ses clients. Difficile de comprendre la cohérence de cet argument dans la mesure où la plainte se fonde, semble-t-il, également sur la réservation des mots-clés et le déclenchement des annonces et pas seulement sur la reproduction des marques dans le texte de celles-ci. La défense de Google aura également pour but de démontrer que le moteur de recherche a promptement réagi aux revendications de Rosetta Stone et qu’en tout état de cause l’entreprise de logiciels linguistiques ne prouve pas de risque de confusion ou likelihood of confusion (condition toujours nécessaire pour prouver la contrefaçon de marque aux Etats-Unis). Rien de bien original donc dans cette nième affaire… si ce n’est que l’on pourra peut-être jauger l’impact de la récente décision (et du raisonnement) de la Cour de justice européenne sur les juridictions américaines en dépit du fait que la contrefaçon de marque européenne et la notion américaine de trademark infringement soit bien éloignées.


Plainte dans l'affaire Rosetta Stone LTD v. Google, Inc. (July 10, 2009)






lundi 29 mars 2010

Verizon fait plein feu sur des registrars malhonnêtes

La société de télécommunication américaine Verizon vient de déposer une plainte devant la cour du Middle District de Floride (Tampa) alléguant 288 cas de cybersquatting à l’encontre de ses marques et visant principalement le registrar DirectNic.com. Cette nouvelle affaire a pour principal intérêt de viser l’utilisation abusive de noms de domaine (au demeurant, similaires à des marques) expirés mais non encore effacés par un registrar. Habituellement, lorsqu’un nom de domaine expire, le registrar place une page blanche sur laquelle il indique que le nom de domaine a expiré et lance, parallèlement, une procédure d’enchère ou d’enregistrement simple du nom de domaine. Au lieu de cela, le registrar profita, en l’espèce, de cette expiration pour « monétiser » ces noms de domaine non encore rachetés. En d’autres termes, au lieu de placer une page blanche indiquant l’expiration, le registrar redirigea vers une page remplie de liens publicitaire… ou site parking dont il était le principal bénéficiaire. Au-delà d’un cybersquatting classique, il s’agit donc en l’espèce de domain parking, avec ceci d’original que c’est le registrar, conscient que ces noms de domaine proches de marques susciteraient du trafic, qui s’en rend coupable ! Décidemment, certains acteurs du net ne perdent pas le nord…
Une autre question qu’aura à trancher la cour de district concernera sa compétence à l’encontre de ce registrar établi dans les îles Caïmans. A cet égard, la plainte indique que les défendeurs ont « conduit de manière systématique et continue une activité au sein de l’Etat de Floride et tant que groupe pilotant le registrar usant du nom de domaine directNic.com » selon une formule désormais classique de la jurisprudence américaine (v. Perkins v. Benguet Consolidated Mining, Co., 342 U.S. 437 (1952) ; Helicopteros Nacionales de Columbia, S.A. v. Hall, 466 U.S. 408 (1984)). Reste à savoir si les juges floridiens suivront cette argumentation, au demeurant assez laconique pour ce qui concerne ce registrar offshore.


Plainte dans l'affaire Verizon LLC v. The Producers, Inc., Intercosmos Media Group, DirectNic.com




samedi 27 mars 2010

Logorama : Quand les marques reçoivent un Oscar !

Logorama est un court-métrage d’animation d’environ 17 minutes réalisé par trois français, François Alaux, Hervé de Crécy and Ludovic Houplain et produit par « Autour de Minuit » qui vient d’être récompensé par l’Oscar du meilleur film d’animation après avoir déjà été récompensé par le prix Kodak au festival de Cannes en 2009. L’originalité de ce film d’animation réside dans l’utilisation d’environ 2500 logos et mascottes protégées à titre de marques. En fait, toute l’histoire, les personnages et le décor sont réalisés à partir de marques très connues notamment Outre-Atlantique. La ville imaginaire s’apparente, semble-t-il, à Los Angeles et le cœur de l’action réside dans une course-poursuite entre la police de la ville constituée de bibendums Michelin et un méchant clown répondant au nom de Ronald McDonalds. Viennent se greffer d’autres personnages tels que l’enfant de Haribo, l’ancienne mascotte d’Esso, le Géant vert, Mr. Propre, les personnages M&M’s ou encore Mr. Peanut et le moustachu de Pringles. A noter également l’apparition du papillon Microsoft, des crocodiles Lacoste, du lion de la MGM et d’oiseaux Bentley. Enfin, concernant le décor on retiendra les montagnes d’Evian, des roses en forme du cigle du Parti socialiste sur un flan de montagne (référence très franchouillarde), et le logo The North Face sur un glissement de terrain. Enfin, le tremblement de terre terminant l’histoire correspond, semble-t-il, au « big one » censé séparer la Californie du reste du continent américain : l’ile qui en résulte a la forme de la virgule du logo de Nike.
Ce film est bien évidemment à visionner et à revisionner afin de pouvoir avoir une vue précise de l’ensemble des références et clins d’œil implicites. Sur le plan strictement juridique, il n’est bien évidemment pas concevable que les réalisateurs soient poursuivis sur le fondement de la contrefaçon par 2500 titulaires de marques ou pour atteinte à bien 400 marques renommées utilisées dans le film. Ce film se situe sans nul doute sur le terrain de l’usage parodique de marque, protégé pour certain par la liberté d’expression ou considéré par d’autres (que nous rejoignons) simplement comme une absence d’usage à titre de marque. Malgré cette exonération de responsabilité sur le terrain du droit des marques stricto sensu, on peut se poser la question du cas Ronald McDonalds dans la mesure où la firme de restauration rapide a investi de manière substantielle pour donner une image sympathique à son clown qui est, dans ce film, dépeint comme un dangereux sociopathe… Difficile sans doute d’avaler la couleuvre pour McDo bien que sa marque bénéficie par la même d’un placement de produit de premier ordre! N’y aurait-il pas matière pour quelques avocats à l’esprit tortueux de plaider la responsabilité civile pour faute qualifiée par le dénigrement?...



Logorama
Le film d'animation en version intégrale et française



Logorama (OSCAR 2010) Version Française
envoyé par tsubasa_403. - Les dernières bandes annonces en ligne.


vendredi 26 mars 2010

OMPI : les statistiques de l’année 2009 sont disponibles

L’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) vient de publier un certain nombre de statistiques pour l’année 2009 relatives notamment aux procédures UDRP. Dans un communiqué en date du 23 mars, l’Organisation indique que 2107 plaintes UDRP ont été déposées en 2009. Ce chiffre correspond, néanmoins, à une baisse de 9,5% par rapport à 2008. Mais l’OMPI indique tout de suite que ces 2700 affaires ont inscrit un record historique en ce qui concerne le nombre de noms de domaine concernés à savoir 4688. En fait, comme le souligne très justement Mark Schweizer de Class46, ce chiffre est d’une certaine manière « artificiellement » gonflé par une seule affaire qui a visé pas moins de 1500 noms de domaine à elle tout de seule (v. Inter-Continental Hotels Corporation, Six Continents Hotels, Inc. v. Daniel Kirchhof, Case No. D2009-1161).
L’OMPI souligne, par ailleurs, que les affaires UDRP ont impliqué des parties de 114 nationalités différentes et ont été jugées par 310 panelistes de 46 pays. A noter également que les Etats-Unis, la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Suisse et l’Espagne demeurent les pays les plus représentés en termes de plaintes alors que les cybersquatters seraient plus souvent résidents des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de la République Populaire de Chine, du Canada, d’Espagne et de Corée.
Enfin, il convient de noter que 24% des affaires engagée en 2009 ont donné lieu à une transaction avant qu’un panel ne se prononce. Pour les affaires restantes, 87% des décisions UDRP ont ordonné le transfert du ou des noms de domaine au bénéfice du demandeur alors que les 13% restantes constituent des décisions de rejet. De deux choses l’une, ce chiffre particulièrement déséquilibré démontre soit que les demandeurs à une action UDRP réfléchissent à deux fois avant de se lancer dans la bataille soit les panelistes font preuve d’une bienveillance suspecte à l’égard des titulaires de marques….
Quoi qu’il en soit, c’est donc une année en demi-teinte qu’a clôturé l’OMPI qui fut sans aucun doute impactée par la crise économique mondiale. Les sommes habituellement allouées par les titulaires de marques à la protection de leurs signes comprenant les procédures UDRP à l’encontre des cybersquatters ont en effet été, à n’en pas douter, grandement diminuées. L’OMPI peut peut-être, néanmoins, escompter un rebond en 2010 avec les indicateurs d’un retour progressif de la croissance.

Quelques graphiques intéressants:
(plus d'informations ici)


Fig. 1: Nombre d'affaires et de noms de domaine visés par année










Fig. 2: Nature des décisions rendues











Fig. 3: Domaine d'activité des demandeurs




















mercredi 24 mars 2010

Arrêt Adwords: Le podcast spécial est disponible!

Voici le podcast organisé hier par "pmdm.fr" et "webmarklaw.com" avec pour intervenants Frédéric Glaize, Cédric Manara, Gilles Ringeisen et moi-même. N'hésitez pas à publier vos commentaires et à nous faire part de vos observations sur l'arrêt rendus hier par la CJUE dans les affaires Google.


CJUE: premier arrêt "Adwords" & marques
24 mars 2010
Télécharger le podcast



mardi 23 mars 2010

Enfin la décision de la CJCE dans les affaires Adwords!

La CJCE a enfin rendu son verdict dans les affaires "Adwords". De manière très schématique, la contrefaçon à l'encontre de Google est exclue notamment en raison de l'absence d'un usage de la marque alors qu'elle laisse plus de libertés aux juridictions nationales pour déterminer si le moteur de recherche peut bénéficier du régime de responsabilité allégé des intermédiaires techniques organisé par la directive n°2000/31/CE sur le Commerce électronique. Concernant les annonceurs, la Cour de justice indique qu'il y a bien usage dans la vie des affaires pour des produits ou services identiques et laisse les juridictions nationales apprécier, au cas par cas, si il y a atteinte à la fonction d'indication d'origine, tout en sachant qu'elle semble fortement pencher vers la qualification d'une telle atteinte. Dès lors, il y a de forts risques pour que les juridictions nationales considèrent que cette dernière condition de la contrefaçon est bien remplie et que dès lors, les annonceurs contrefont les marques. Mais je n'en dis pas plus et vous laisse découvrir l'arrêt avant de vous proposer en collaboration avec Frédéric Glaize, Cédric Manara et Gilles Ringeisen le podcast spécial dédié à cette décision.



CJCE, 33 mars 2010, Google c/ Louis Vuitton Malletier, Viaticum et Luteciel, CNRRH, Aff. C-236/08, C-237/08 et C-238/08





samedi 20 mars 2010

Article à lire: "A New Chapter Opens in the "Who Dat" Trademark Story"

Voici un article de Ryan Gile publié sur le blog "Las Vegas Trademark Attorney" au sujet d'une affaire faisant beaucoup de bruit dans le milieu du football américain professionnel aux Etats-Unis. Il s'agit de l'affaire "Who Dat?" du nom de l'expression devenue le signe de ralliement des supporters de la franchise des New Orleans Saints, récemment vainqueurs du Superbowl. La NFL clame en effet un droit sur cette marque alors qu'une société appelée "Who Dat, Inc." fondée par les créateurs de ce slogan et de la musique associée a récemment déposé une plainte contre la NFL. Au milieu de cet imbroglio juridique, les supporters (véritables intéressés) crient à l'infamie. Ce bref article documenté permet de faire un point sur ces différentes revendications:

Earlier this year, the “Super Bowl” trademark story of the year centered not around the NFL’s usual efforts to crack down on unauthorized use of the SUPER BOWL trademark, but instead about purported efforts by the NFL to claim ownership to the mark WHO DAT (coverage of the dispute here and here)
On March 4, 2010, Who Dat? Inc. (“WDI”) filed a lawsuit against the NFL, the New Orleans Saints, the Louisiana Secretary of State and the State of Louisiana. See Who Dat?, Inc. v. NFL Properties, LLC et al, Case No. 10-cv-00154 (M. D. La. March 4, 2010). A copy of the complaint can be downloaded here (or here). Other press coverage here, here and here.
Courthousenews provides an excellent summary of the pertinent allegations of the 60 page, 189 paragraph, 16 count action complaint (which includes pictures) which (lire la suite)


vendredi 19 mars 2010

Affaire « Stratton Faxon » : Le nouvel échec d’un contentieux Adwords aux Etats-Unis

L’affaire « Stratton Faxon » remonte au mois de mai 2009, lorsque le cabinet d’avocats du même nom engagea des poursuites judiciaires à l’encontre de la société Google devant une cour étatique du Connecticut (et non fédérale, ce qui rend cette affaire beaucoup plus difficile à appréhender dans la mesure où le Lanham Act n’est, en principe, pas applicable). Un autre élément qui fit de cette affaire un cas relativement original est que le demandeur n’invoqua pas dans sa plainte la contrefaçon de marque mais seulement la concurrence déloyale ou plus précisément pour « Tortious interference with business relations » et « Unjust enrichment ».
Il y a environ 10 jours, la Superior Court de New Haven a donné une suite favorable à la demande de fin de non-recevoir (motion to dismiss the case) dont avait fait part le moteur de recherche californien. Il semblerait que Stratton Faxon ait payé le prix de son originalité dans la mesure où le juge étatique a considéré que la plainte aurait du être portée devant une juridiction fédérale. Difficile pour un demandeur se trouvant être un cabinet d’avocats de se méprendre sur la juridiction à saisir et les fondements à invoquer…
Des informations contradictoires circulent sur les intentions du demandeur qui, théoriquement, peut toujours intenter une action pour contrefaçon de marque devant une cour fédérale. Eric Goldman, de l’Université de Santa Clara, semble avoir eu des contacts avec des représentants de Stratton qui lui auraient confié, il y a quelques semaines, leur intention de considérer cette autre solution alors que Wendy Davis, de MediaPost, affirme, aujourd’hui, le contraire.
Quoi qu’il en soit, voici une nouvelle victoire des représentants de Google qui semblent définitivement chanceux en ce début d’année 2010 avec la fin prématurée de plusieurs contentieux Adwords. La loi des séries va-t-elle se vérifier mardi prochain lorsque la CJCE sera amenée à rendre sa décision très attendue des les affaires Adwords ?







jeudi 18 mars 2010

En attendant l’arrêt Adwords III : Les décisions rendues dans l’affaire CNRRH, Pierre Alexis T… c/ Google

En partenariat avec le site "pmdm.fr", voici un petit rappel des différentes décisions françaises rendues dans l'affaire "CNRRH, Pierre Alexis T... c/ Google" en attendant que la CJCE se prononce le 23 mars prochain.

• Les faits

Les faits de l’espèce étaient somme toute assez classiques. La société CNRRH exerçant une activité d’agence matrimoniale titulaire d’une licence sur la marque « Eurochallenges » concédée par Pierre Alexis T… et exploitant un site internet accessible au nom de domaine « eurochallenges.com » avait constaté qu’en saisissant sa marque dans le moteur de recherche Google, apparaissaient des liens commerciaux dirigeant les internautes vers les sites de sociétés concurrentes. Après avoir vainement adressé une mise en demeure au moteur de recherche, la société CNRRH engagea en juin 2004 une action en contrefaçon de marque à l’encontre de Google et des deux annonceurs utilisant sa marque à titre de mots-clés ainsi qu’en concurrence déloyale à l’encontre des deux annonceurs.

• La décision de première instance : TGI Nanterre, 2e ch., 14 décembre 2004, CNRRH, Pierre Alexis T. c/ Google France et autres; Legalis.net, 2005-3, p. 78, Légipresse 2005, III, p. 150, note J.-F. Gaultier et M. Jourdain; Propr. industr., n°4, avril 2004, comm. 26, P. Tréfigny

Sur la contrefaçon de Google
Le tribunal souligne, en premier lieu, que la reproduction de la marque de la société demanderesse afin de la suggérer à titre de mots-clés à des annonceurs est un usage à titre de marque du signe en cause et, qui plus est, dans une spécialité identique ou similaire au regard de l’activité des annonceurs intéressés par ce mot-clé. En outre, Google ne saurait, en second lieu, tirer profit de l’argument de l’invisibilité de ces mots-clés à l’égard de l’internaute dans la mesure où la page de résultat affiche à côté du site du titulaire des liens commerciaux et que la requête reste affichée dans le champ de saisie.
Concernant la question de l’imputabilité des faits de contrefaçon au moteur de recherche, le tribunal remarque que Google a une part active dans le processus de choix du mot-clé par son outil de suggestion, que « l’automatisation du système est un choix économique de Google et ne peut servir de justification à une absence totale de contrôle conduisant à un acte de contrefaçon » et que, en tout état de cause, Google a un intérêt certain dans cette contrefaçon étant indirectement rémunéré en fonction du choix des mots-clés sélectionnés par ses clients. Le tribunal rejette l’argument d’irresponsabilité fondée sur la qualification d’hébergeur au sens de l’article 6 al. 2 LCEN, les juges considérant que Google agit en tant que régie publicitaire lorsqu’il s’agit de son programme Adwords. Enfin, le tribunal ne tient pas compte de la procédure de désactivation des liens commerciaux sur réclamation des titulaires de marques car cette procédure ne vise que des cas précis de contestation et n’empêche pas d’autres clients de réaliser la même contrefaçon de marque. Le tribunal conclut donc à l’existence d’une contrefaçon.

Sur la contrefaçon des annonceurs
Le tribunal rejette l’argument fondé sur une spécialité différente ainsi que sur la bonne foi dans la mesure où à l’inverse de Google qui peut légitimement ignorer l’activité de la société demanderesse, ses concurrents ne peuvent se retrancher derrière une ignorance peu crédible. Enfin, bien que Google ait proposé la marque de la demanderesse à titre de mot-clé, il appartenait aux annonceurs de ne pas le choisir. La contrefaçon est donc également établie à l’encontre des annonceurs.

Sur la concurrence déloyale des annonceurs
Le tribunal considère également que les annonceurs ont commis des actes de concurrence déloyale car « la finalité [des liens commerciaux] était […] bien de détourner à leur profit la clientèle [de la société demanderesse] en incitant l’utilisateur à visiter leur propre site ».

• La décision d’appel : CA Versailles, 12e ch., sect. 2, 23 mars 2006, Google France c/ CNRRH, Pierre Alexis T., Bruno R., Sté Tiger, disponible sur "juriscom.net", RLDI 2006/16, n°470, L. Costes

Sur l’élément matériel de la contrefaçon
La cour d’appel considère que l’utilisation de la marque « eurochallenges » à titre de mot-clé est un usage contrefaisant dès lors qu’« elle conduit nécessairement à promouvoir des services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement ». Ce faisant, la cour rejette à l’instar des juges du premier degré, l’argument de la non visibilité de cet usage du mot-clé dès lors que la saisie reste affichée sur la page des résultats de recherche. Toutefois, à l’inverse des juges du TGI, la cour d’appel considère que la reproduction n’est pas à l’identique (la marque étant semi-figurative et non purement verbale) ce qui impliquait de démontrer un risque de confusion, en l’espèce, clairement établi selon les juges d’appel dans la mesure où le placement des liens commerciaux n’est pas de nature à éviter tout risque de confusion pour un utilisateur moyennement attentif du moteur de recherche.

Sur la contrefaçon par Google
Dans son analyse de l’imputabilité de la contrefaçon à Google, la cour d’appel rappelle tout d’abord que le moteur agit en tant que « prestataire de référencement publicitaire » et non en tant que simple intermédiaire technique. En outre, Google a suggéré le mot-clé litigieux de manière certes statistique mais ne préjudiciant en rien son devoir d’interdire l’utilisation de mots-clés manifestement illicite consistant en la mise en œuvre de moyens lui permettant que les mots-clés réservés ne constituent pas une contrefaçon de marques françaises en vigueur.
Concernant plus précisément la qualification de contrefaçon, la cour relève que l’usage de Google est de nature commerciale et qu’il est réalisé pour la désignation de services identiques ou similaires, à savoir ceux des annonceurs. La cour ajoute enfin qu’il n’est pas nécessaire que Google soit le bénéficiaire direct de cette contrefaçon tant que celle-ci réside dans son fait personnel. La cour conclut donc à la responsabilité du moteur pour contrefaçon de marque.

Sur la contrefaçon des annonceurs
A l’instar des juges de première instance, la cour d’appel remarque que les annonceurs ont fait le choix de cette marque comme mot-clé pour faire s’afficher leur annonce et que cet usage est de nature à induire en erreur l’internaute d’attention moyenne susceptible de se méprendre sur la nature des « liens commerciaux » entre le site de l’annonceur et celui du titulaire de la marque. Enfin, la cour rejette également l’argument de la bonne foi, inopérante en matière de contrefaçon, et au surplus, peu crédible en l’espèce. Dès lors, la cour conclut à la responsabilité des annonceurs pour contrefaçon de marque.

Sur la concurrence déloyale des annonceurs
La cour confirme également la responsabilité des annonceurs pour concurrence déloyale fondée sur les faits distincts d’usurpation du nom commercial « eurochallenges » et du nom de domaine amenant un détournement de la clientèle du demandeur.

• Les questions préjudicielles : Cass. com., 20 mai 2008, Sté Google France c/ CNRHH, n°06-15,136, FS-P+B, RLDI 2008/39, n°1292, obs. L. Costes; Contrats, conc., consom., n°7, juillet 2008, comm. 187, M. Malaurie-Vignal; RLDI 40/2008, n°1318, p. 6, E. Tardieu-Guigues ; Legiprésse n°263, juillet-août 2009, p. 87, note B. Pautrot.


Saisie d’un recours, la Cour de cassation adressa à la CJCE les questions suivantes relatives à la protection des marques :

« 1°) La réservation par un opérateur économique, par voie de contrat de référencement payant sur internet, d’un mot-clef déclenchant en cas de requête utilisant ce mot, l’affichage d’un lien proposant de se connecter à un site exploité par cet opérateur afin d’offrir à la vente des produits ou services, d’un signe reproduisant ou imitant une marque enregistrée par un tiers afin de désigner des produits identiques ou similaires, sans l’autorisation du titulaire de cette marque, caractérise-t-elle en elle-même une atteinte au droit exclusif garanti à ce dernier par l’article 5 de la première Directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 ? »

« 2°) L’article 5, paragraphe 1, sous a et b de la première Directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques doit-il être interprété en ce sens que le prestataire de service de référencement payant qui met à la disposition des annonceurs des mots-clefs reproduisant ou imitant des marques déposées, et organise par le contrat de référencement la création et l’affichage privilégié, à partir de ces mots clefs, de liens promotionnels vers des sites sur lesquels sont proposés des produits identiques ou similaires à ceux couverts par l’enregistrement de marques, fait un usage de ces marques que son titulaire est habilité à interdire ? »

Il convient de noter que la première question relative à la responsabilité des annonceurs a seulement été posée dans cette affaire.

mercredi 17 mars 2010

Cybersquatting : La commune de Tignes a usé sa dernière cartouche devant l’OMPI

Voici un nouvel exemple d’une commune française estimant que tout nom de domaine reproduisant exactement son nom lui revient de plein droit. En l’espèce, la commune de Tignes dans le département de la Savoie, avait engagé une procédure d’arbitrage devant l’OMPI afin de récupérer le nom de domaine « tignes.com » enregistré et exploité par deux particuliers. L’affaire n’était en fait pas nouvelle puisque la commune de Tignes avait déjà engagé des poursuites contre ces mêmes défendeurs devant le TGI de Lyon au début des années 2000 en invoquant une contrefaçon des marques figuratives « TIGNES » par l’enregistrement du nom de domaine litigieux. Dans une décision du 27 septembre 2001, la juridiction lyonnaise avait considéré que l’enregistrement et l’usage du nom de domaine « tignes.com » ne contrefaisait pas la marque de la commune demanderesse. Non contente de cette déconvenue judiciaire, la commune de Tignes revient donc à la charge près de 10 plus tard !...
En ce qui concerne la première condition UDRP pour que le cybersquatting soit qualifié, à savoir un nom de domaine identique ou d’une similarité engendrant un risque de confusion, le panel conclut très justement en la satisfaction de cette condition en soulignant que le nom de domaine est d’une similarité telle avec l’élément textuel dominant de la marque (v. Sweeps Vacuum & Repair Center, Inc. v. Nett Corp., WIPO Case No. D2001-0031) qu’il entraîne un risque de confusion.
Concernant la second condition consistant en l’inexistence d’un droit ou d’un intérêt légitime du défendeur sur le nom de domaine, le panel conclut que les défendeurs ont, en l’espèce, établi qu’ils fournissaient par leur site des informations historiques sur la ville de Tignes sans aucune intention de profiter ou d’atteindre la réputation et la renommée des marques de la commune. En outre, le site des défendeurs n’a, en aucune manière, une dimension commerciale comme le démontre le fait qu’aucune publicité n’est à l’heure actuelle associée à ce site.
Enfin, au regard de la dernière condition relative à un usage et un enregistrement de mauvaise foi du nom de domaine, le panel souligne que la commune de Tignes n’a pas démontré que les défendeurs ont cherché à revendre le nom de domaine à la commune de Tignes afin de tirer profit de cette réservation. Bien au contraire… c’est le demandeur qui a contacté les défendeurs pour chercher à racheter le nom de domaine litigieux.
La commune de Tignes aura donc tout tenté pour récupérer le nom de domaine litigieux, sans succès… A noter que dans cette procédure, les défendeurs invoquaient le « reverse domain name hijacking » à l’encontre de la commune consistant en une procédure abusive de celle-ci contre l’enregistrement et l’usage légitimes d’un nom de domaine. Le panel refusa de suivre les défendeurs sur ce point dans la mesure où le simple fait de perdre une procédure UDRP n’est pas automatiquement constitutif de reverse domain name hijacking (v. Jazeera Space Channel TV Station v. AJ Publishing aka Aljazeera Publishing, WIPO Case No. D2005-0309). Bien que cette affirmation du panel semble toute justifiée, il est possible de se demander pourquoi les défendeurs n’ont pas justement appuyé leur démonstration sur cet acharnement de la commune invoquant tour à tour la contrefaçon de sa marque devant les juridictions françaises et le cybersquatting devant les arbitres de l’OMPI à près de 10 ans d’intervalle, après avoir entre ces deux procédures tenté de racheter le nom de domaine. Si de telles circonstances ne sont pas suffisantes, il paraît bien difficile de cerner les cas où le reverse domain name hijacking pourrait être établi. Décidemment, cette notion est bien insaisissable…


Commune de Tignes v. Laurence et Sandrine Raymond, WIPO Case No. D2010-0076




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lundi 15 mars 2010

En attendant l’arrêt Adwords II : Les décisions rendues dans l’affaire "Louis Vuitton Malletier c/ Google"

En partenariat avec le site "pmdm.fr", voici un petit rappel des différentes décisions françaises rendues dans l'affaire "Louis Vuitton Malletier c/ Google" en attendant que la CJCE se prononce le 23 mars prochain.

• Les faits

L’affaire « Vuitton » débuta en août 2003 lorsque la société Louis Vuitton Malletier assigna les sociétés Google, Inc. et Google France devant le TGI de Paris principalement pour contrefaçon de marque, concurrence déloyale et publicité déloyale. Les faits étaient alors relativement inédits. Suivant une division désormais classique, la société demanderesse avait constaté que le moteur de recherche (i) suggérait, d’une part, aux annonceurs de son programme « Adwords » la sélection de mots-clés tels que « Louis Vuitton replicas », « Louis Vuitton copies » ou encore « Imitation Louis Vuitton » permettant d’afficher leur message publicitaire et (ii) d’autre part, avait effectivement permis à des annonceurs d’afficher des liens commerciaux pointant vers sites proposant des produits contrefaisants à partir de la saisie des marques « Louis Vuitton » et « LV » dont est titulaire la demanderesse.

• La décision de première instance : TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 4 février 2005, Louis Vuitton Malletier c/ Google, Comm. com. électr. 2005, comm. 117, P. Stoffel-Munck; Recueil Dalloz, 2005, n°15, p. 1037, note C. Hugon; Prop. Ind., n°10, Oct. 2005, Etude 21, E. Tardieu-Guigues; RLDI 2005/3, n°88, p.22, RTD com., 2005/21, p. 228, note H. Alterman

Sur la contrefaçon
En premier lieu, le TGI de Paris souligna qu’aucun contrôle n’était effectué par Google sur les droits dont dispose éventuellement un annonceur sur une marque reproduite à titre de mot-clé et que, bien pire, l’association des marques de la demanderesse avec des termes tels que « copie », « imitation » ou « répliques » est le fait de Google lui conférant un « rôle actif par la portée, le sens même, des mots qu’elle […] suggère ». En second lieu, les juges considérèrent que cette suggestion est le signe que Google fournit une aide à des annonceurs proposant des imitations des produits de la demanderesse pour attirer des internautes en plaçant leur publicité à la même hauteur que le site officiel de Louis Vuitton Malletier induisant nécessairement une confusion. Dès lors, le TGI de Paris condamne Google pour contrefaçon par imitation au sens de l’article L. 713-3 CPI.
Le TGI de Paris écarte enfin l’argument selon lequel Google serait un simple intermédiaire technique au sens de la Directive commerce électronique (n°2000/31/CE) dans la mesure où Google assit sa rémunération sur l’exploitation des mots clés contrefaisants.

Sur les autres demandes
Le TGI de Paris condamna également la société défenderesse sur le fondement de la concurrence déloyale puisque les liens commerciaux affichés par les mots-clés redirigeaient précisément vers des sites proposant des imitations ainsi que pour atteinte à la dénomination sociale et au nom de domaine de Louis Vuitton Malletier. Enfin, le TGI condamne également Google pour publicité trompeuse sur le fondement des articles L.115-33 et L.121-1 C. Cons. en considérant que la mention « liens commerciaux » est trompeuse en elle-même car laissant supposer l’existence de rapports commerciaux entre les annonceurs et le titulaire de la marque et ajouté que Google agit en tant que titulaire d’un support publicitaire affichant directement les messages des annonceures en se rémunérant sur le prix que ceux-ci sont prêts à verser.

• La décision d’appel : CA Paris, 4e ch., sect. A, 28 juin 2006, SARL Google, Sté Google Inc c/ SA Louis Vuitton Malletier, RLDI 2006/18, n°529, p.25, obs. L. Costes; Expertises août-septembre 2006, n°306, p. 299; Gaz. Pal., 6-10 mai 2007, p. 32, note M. Mansouri; Gaz. Pal., 19 octobre 2006, p.29, note V. Brunot; E. Tardieu-Guigues, "Une interprétation extensive des articles L.713-2 et L.713-3 du Code de la propriété intellectuelle dans le cadre de la vie des affaires", RLDI 2006/19, n°559, p.13

Sur la contrefaçon
En premier lieu, les juges soulignent que la contrefaçon ne vise pas seulement la mention de la marque sur un produit ou service mais peut résulter « d’une reproduction ou de l’imitation de la marque de quelque manière que ce soit » et notamment peut être interdit, en vertu de l’article 5-3 de la directive, « d’utiliser le signe dans les papiers d’affaires et la publicité ». Or, l’outil de suggestion de mots-clés fait usage, reproduit et imite les marques de la société demanderesse et ce, « en relation directe avec les produits visés par les marques » qui, au demeurant, jouissent d’une renommée. Dès lors, cet usage est fautif en ce qu’il entraîne à la fois un risque de confusion chez le consommateur moyen et une atteinte à la renommée des marques constituée par le profit injustifié tiré par Google. Enfin, Google ne peut s’exonérer de sa responsabilité dans la mesure où cet usage s’inscrit dans le cadre d’une participation active de Google à la contrefaçon qui, du reste, n’a pas mis en œuvre les moyens techniques pertinents pour éviter ces dérives et empêcher l’affichage d’annonces suite à la saisie des marques protégées.

Sur les autres demandes
La cour d’appel rejeta également l’application du statut de responsabilité aménagée des prestataires de stockage prévu notamment à l’article 6 al. 2 de la loi du 21 juin 2004 (LCEN) au motif que « [Google] ne se borne[…] pas à stocker des informations de nature publicitaires qui lui seraient fournies par des annonceurs, mais […] déploi[…]e une activité de régie publicitaire ». Les juges d’appel confirmèrent également la concurrence déloyale notamment en raison du fait que Google tira profit du préjudice de la société intimée bien que ne commercialisant pas de sacs ou de produits de maroquinerie. Enfin, la cour d’appel reconnut également l’existence de faits de publicité trompeuse.


• Les questions préjudicielles : Cass. com., 20 mai 2008, Stés Google France et Google, Inc. c/ Sté Louis Vuitton Malletier, n°06-20,230, FS-D, RLDI 2008/39, n°1292, obs. L. Costes; Contrats, conc., consom., n°7, juillet 2008, comm. 187, M. Malaurie-Vignal; RLDI 40/2008, n°1318, p. 6, E. Tardieu-Guigues ; Legiprésse n°263, juillet-août 2009, p. 87, note B. Pautrot.

Saisie d’un recours, la Cour de cassation adressa à la CJCE les questions suivantes relatives à la protection des marques :

« 1°) Les articles 5, paragraphe 1, sous a) et b) de la première Directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des Etats membres sur les marques et 9, paragraphe 1, sous a) et b) du Règlement (CE) n°40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire doivent-ils être interprétés en ce sens que le prestataire de service de référencement payant qui met à la disposition des annonceurs des mots-clefs reproduisant ou imitant des marques déposées, et organise parle contrat de référencement la création et l’affichage privilégié, à partir de ces mots clefs, de liens promotionnels vers des sites sur lesquels sont proposés des produits contrefaisants, fait un usage de ces marques que son titulaire est habilité à interdire ?

2°) Dans l’hypothèse où les marques sont des marques renommées, le titulaire pourrait-il s’opposer à un tel usage, sur le fondement de l’article 5, paragraphe 2, de la directive, et de l’article 9, paragraphe 1, sous c) du règlement ?

Cette dernière question relative à la protection de la marque renommée fut seulement posée dans cette affaire « Vuitton ».



samedi 13 mars 2010

Affaire « Canadarugs.com » : gain de cause pour un site parking

L’affaire « Canadarugs.com », présentée devant le National Abitration Forum, opposait la société canadienne « 5127173 Manitoba Ltd. » exploitant un site très connu de pharmacie en ligne accessible via le nom de domaine « canadadrugs.com » à la société américaine « Suucess Inc. » qui exploitait un site parking accessible par le nom de domaine « canadarugs.com ». La société demanderesse accusait en substance cette société américaine de typosquatting, le nom de domaine litigieux étant une reproduction pure et simple de son nom de domaine hormis l’omission de la lettre « d ».
En ce qui concerne la première condition exigée pour démontrer le cybersquatting, à savoir l’existence d’un risque de confusion entre la marque du demandeur et le nom de domaine du défendeur, le panel note que « les internautes sont conscients que des noms de domaine très similaires peuvent mener à des sites très différents » (v. Entrepreneur Media, Inc. v. Smith, 279 F.3d 1135, (9th Cir. 2002)). Dès lors, le panel considère qu’en l’espèce le risque de confusion n’est pas démontré. Au regard de la seconde exigence consistant en ce que le défendeur n’ait aucun droit légitime sur le nom de domaine, le Panel remarque avec le défendeur (et c’est le cœur de cette affaire) que « canadarugs » n’est pas une faute commise vis-à-vis de la marque « CANADA DRUGS » mais correspond en réalité au un signe autonome « CANADA RUGS ». En effet, le mot « rugs » a un sens en anglais à savoir « tapis ». En outre, le panel souligne que le défendeur avait enregistré ce nom de domaine bien avant que la société canadienne n’exploite son site sous le nom de domaine « canadadrugs.com ». Ainsi, le panel conclut que le défendeur avait un intérêt légitime sur le nom de domaine (v. ZeroInt'l Holding v. Beyonet Servs., D2000-0161 (WIPO May 12, 2000)). Enfin, concernant la dernière condition d’une réservation et d’un usage de mauvaise foi du nom de domaine, le panel reprend les mêmes arguments que ceux développés à propos de l’intérêt légitime pour conclure qu’il n’y a pas eu mauvaise foi (v. Target Brands, Inc. v. Eastwind Group, FA 267475 (Nat. Arb. Forum July 9, 2004)). Mais il semble que ce soit en réalité surtout le fait que le demandeur ait engagé des poursuites très tardives qui ait poussé le panel à ne pas décider en son sens.
En définitive, la seule chose regrettable est que le panel n’ait pas donné suite à la demande du défendeur de signaler qu’il s’agissait en fait d’un cas de « reverse cybersquatting » ou, en d’autres termes, de poursuites abusives d’un titulaire de marque à l’encontre d’un propriétaire légitime d’un nom de domaine.



vendredi 12 mars 2010

Brève : La SNCF s’oppose à l’utilisation de sa marque « TGV » sur internet

Selon le site internet « Eco89 », la SNCF aurait fait pression sur le site d’usagers en colère « tgv-tours-paris.fr » pour qu’il change de nom et que ne soit plus utilisé, au sein des articles publiés, le néologisme « TGViste » pour désigner les usagers. Interrogée par les responsables du site « Eco89 », la direction juridique de la SNCF aurait déclaré : « L'utilisation du terme “TGVistes” dénature fortement la marque “TGV®”, qui se trouve modifiée pour en faire un néologisme impliquant de percevoir la marque comme un nom commun. De plus, le consommateur se trouve ainsi assimilé aux produits et services commercialisés sous cette marque, dont la finalité est donc détournée puisqu'elle ne remplit plus son rôle de garantie d'identité d'origine ». En d’autres termes, la SNCF craint deux choses eu égard à ce néologisme : la dégénérescence de sa marque et l’atteinte à la renommée de celle-ci par son avilissement. Les responsables du blog contestataire semblent moins enclins à modifier ce néologisme que le nom de leur blog qui est désormais accessible à l’adresse « ligne-tours-paris.blogspot.com ».


jeudi 11 mars 2010

En attendant l’arrêt AdWords I : les décisions rendues dans l’affaire Viaticum & Luteciel vs Google France

Le décompte jusqu’au premier arrêt « AdWord » de la CJUE (ex CJCE) continue. Webmarklaw.com et le pMdM vont proposer pendant cette période des billets récapitulatifs et renvoyant vers diverses ressources sur les affaires de liens publicitaires en cours. Autant dire que la thématique des liens publicitaires va prédominer pendant quinze jours.
L’ordonnance du Président de la CJCE du 8 juillet 2008 a joint les trois affaires soumises par la de la chambre commerciale de la Cour de cassation (Google France, Google Inc. contre Louis Vuitton Malletier, affaire C-236/08 ; Google France contre Viaticum, Luteciel, affaire C-237/08 ; Google France contre CNRRH, Pierre-Alexis T., Bruno R., Tiger, franchisée Unicis, affaire C-238/08), les questions posées par les trois arrêts du 20 mai 2008 "étant connexes par leur objet" .
Si l’on encore en mémoire les questions préjudicielles posées dans ces trois affaires par la cour de cassation (sinon on peut les retrouver présentées parallèlement ici), les faits qui sont à la base de ces trois affaires sont à présent anciens. Aussi, avant de connaitre la position de la Cour Européenne, nous reviendrons sur les instances qui ont abouti à ce que la cour de cassation demande une interprétation des Directives Marques et Commerce Électronique. On appréciera au passage la pertinence de la formulation des questions préjudicielles…
Voici donc ce qui historiquement est la première affaire de liens publicitaires : celle connue sous le nom de la marque « Bourse des vols », qui est l’une de celles invoquées. Comme à l’accoutumée, le pMdM rappellera d’ailleurs ci-dessous les marques en jeu, déposées par Luteciel ou Viaticum

(lire la suite de l'article de Frédéric Glaize sur pmdm.fr)


mercredi 10 mars 2010

Cybergriping : pas de contrefaçon dans l’affaire « carreragentnetwork.biz »

Le juge Cleland de la cour du District Est de l’Etat du Michigan a rendu sa décision dans l’affaire "Career Agents Networks, Inc. v. careeragentnetwork.biz" où il était question de cybergriping. Rappelons que le cybergriping consiste dans l’enregistrement d’un nom de domaine reproduisant la marque d’un individu, d’une entreprise, d’un organisme ou d’une institution quelconque donnant l’accès à un site internet sur lequel le titulaire de la marque est critiqué, tourné en ridicule ou bien caricaturé. Toute la problématique est de savoir, sur le terrain du droit des marques, si un tel usage de la marque d’autrui constitue une contrefaçon de marque. C’est la question à laquelle était confrontée la cour de District dans la présente affaire.
Les faits de l’espèce étaient teintés de ressentiment et de frustration comme dans la plupart des cas de cybergriping. Il s’agissait d’une entreprise de conseil en recrutement titulaire de la marque « CAREER AGENTS NETWORK » enregistrée en 2009 et répondant à la même dénomination sociale sous forme des initiales « CAN ». CAN racheta il y a un an une entreprise concurrente aux activités similaires. Cette entreprise avait conclu un contrat de prestation avec un dénommé Lawrence White. Se rendant compte que ce contrat était moins lucratif qu’il ne le pensait notamment suite au rachat de la première société par CAN, Lawrence White eut l’idée de réserver deux noms de domaine reproduisant la marque de CAN : « careeragentsnetwork.biz » et « careeragentnetwork.biz ». Ces deux noms de domaine renvoyaient vers une page sobre sur laquelle était inscrit le message suivant :

ATTENTION
Si vous pensez investir dans cette affaire, soyez conscient qu’il est très improbable que vous ayez un retour sur investissement. Si vous êtes en relation avec cette entreprise, vous aurez été prévenu par ceux qui savent et ont perdu […] 150.000 dollars en plaçant leur confiance en eux et leur « plan ».

CAN invoquait devant la cour de district principalement deux fondements : en premier lieu, elle considérait qu’il y avait cybersquatting en vertu de l’Anti-Cybersquatting Consumer Protection Act (15 U.S.C. §1125(d)) et en second lieu, elle invoquait la contrefaçon de marque au sens du Lanham Act (15 U.S.C. §1125(a)).

Sur la première demande, la cour de district remarque qu’il est absolument clair que le défendeur n’a jamais eu pour intention de profiter de ce nom de domaine en ce sens qu’il n’avait pas pour objectif de le revendre au titulaire de marque (v. Lucas Nursery and Landscaping, Inc. v. Grosse, 359 F.3d 806 (6th Cir. 2004)). En outre, il n’est pas non plus établi que le défendeur eut pour intention de détourner la clientèle du titulaire de marque par l’enregistrement des noms de domaine litigieux (v. sur ce point DaimlerChrysler v. The Net, Inc., 388 F.3d 201 (6th Cir. 2004)). De manière très intéressante, la cour souligna que « Le demandeur tente de démonter que, parce que les faits prouvent que le défendeur a eu l’intention de porter préjudice au demandeur, le demandeur peut prouver la mauvaise foi [du défendeur]. […] Le demandeur doit prouver plus que la tentative de porter préjudice au demandeur. Le demandeur doit prouver que le défendeur avait une intention, par mauvaise foi, de tirer profit de l’utilisation des noms de domaine ». La cour conclut donc qu’il n’y a pas cybersquatting au sens de l’ACPA.

Sur la seconde demande, le juge Cleland souligne en premier lieu que la question est de savoir si l’usage de la marque est commercial et ainsi protégé à un degré moindre par le Premier Amendement (v. Taubman Co. v. Webfeats, 319 F.3d 770 (6th Cir. 2003)). A cet égard, la cour remarque que le défendeur n’a pas placé de lien vers un site professionnel ni fait de référence à son activité de manière à la présenter comme une alternative à celle du demandeur (v. Bosley Medical Institute, Inc. v. Kremer, 403 F.3d 672 (9th Cir. 2005)). Le simple fait de vouloir porter préjudice au demandeur n’est pas constitutif d’un usage commercial. Enfin, la cour déclare que même si cet usage était commercial, le demandeur n’est pas en mesure de démonter sérieusement qu’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public entre l’usage litigieux et le titulaire de la marque. La cour conclut donc à l’absence de contrefaçon de marque.

En définitive, cette nouvelle décision est un autre exemple d’échec d’un titulaire de marque essayant d’empêcher l’usage de sa marque à des fins polémiques. Il semble que la cour ait suivi un raisonnement orthodoxe dans cette décision en rejetant le cybersquatting et la contrefaçon de marque. La position des titulaires de marque n’est toutefois pas entièrement dénuée de fondement dans la mesure où de tels agissements peuvent parfois constituer des abus de la liberté d’expression. Cette dernière notion est néanmoins quelque peu étrangère au droit américain…


Career Agents Networks, Inc. v. careeragentnetwork.biz (E.D. Mich., 2010)





mardi 9 mars 2010

Article à lire : « Yes, Multiple Top Level Domain Names Add to Confusion »

Bien qu’il soit un peu succinct, ce petit billet de Andrew Allmann posté sur Domain Name Wire a le mérite de jeter un pavé dans la marre. L’idée défendue par l’auteur est simple : la création de nouveau Top Level Domain names (TLD) accroit le risque de confusion. Question très intéressante au regard de l’actualité. Le débat est ouvert !

This morning I read Wired’s article on ICANN, which discusses new top level domain names.
It quotes David Farber saying “I don’t think that [adding new TLDs] creates innovation. I think that creates rapid confusion.”
Antony Van Couvering with new TLD service provider Minds + Machines, responded in the comments:
There’s no evidence whatever that people will be confused by new top-level domains. We already have more than 270 top-level domain today (all the gTLDs and ccTLDs) and no-one seems to be confused. People are smart and adaptable and quickly gravitate toward Internet services that improve their lives…
Really? Look, I agree with a lot of what Antony has to say about new TLDs, but to say that no one seems confused by having more than one top level domain name is just bunk.

(Lire la suite)


lundi 8 mars 2010

Après 6 ans de contentieux, l’affaire Rescuecom se termine en queue de poisson !

Dans un communiqué de presse daté de vendredi dernier, Rescuecom, la fameuse entreprise de réparation informatique qui avait débuté des poursuites contre Google pour contrefaçon de marque via le programme Adwords, annonce qu’elle a enfin gagné face au moteur de recherche. Mais cette annonce cache en fait une amère défaite puisque Rescuecom, sous couvert d’avoir obtenu ce qu’elle voulait du moteur de recherche, abandonne en réalité toute poursuite judiciaire et donc toute chance de voir enfin reconnaître la contrefaçon de sa marque en raison de la réservation de mots-clés. Rappelons qu’en 2006, la cour du District Nord de l’Etat de New York avait considéré que l’usage de la marque de Rescuecom par Google n’était pas un usage à titre de marque au sens du Lanham Act (456 F. Supp. 2d 393 (N.D.N.Y. 2006)). En 2009, la cour d’appel du Second Circuit avait remis en cause cette décision en considérant que Google vendait la marque du demandeur lorsqu’il proposait de l’associer avec un espace publicitaire et renvoya l’affaire devant une autre cour de district (2009 WL 875447 (2nd Cir. 2009)). Malgré cette bonne tournure des évènements en faveur de Rescuecom, il n’y aura finalement pas de suites dans cette affaire.
Maintenant, toute la question reste de savoir pourquoi Rescuecom a finalement mis un terme à cette bataille judiciaire. Dans son communiqué de presse, l’entreprise déclare qu’elle a obtenu ce qu’elle a voulu dans la mesure où sa marque a été retirée de l’outil de suggestion de mots-clés de Google et que le moteur de recherche bloque toute référence à cette marque dans le corps de texte des annonces publicitaires. Mais comme l’a très justement remarqué le professeur Eric Goldman de l’Université de Santa Clara, cette explication est un peu douteuse dans la mesure où Rescuecom avait déjà obtenu de telles mesures de la part du moteur de recherche dès 2005. En fait, selon le buzz qui se développe depuis vendredi dernier au sein de la blogosphère juridique américaine auquel nous nous rallions, l’explication serait d’une autre nature. Comme nous l’avons déjà signalé sur ce blog, Rescuecom a été très récemment impliquée dans une affaire de contrefaçon de marque par l’achat de mots-clés face à l’entreprise Best Buy mais cette fois-ci en tant que contrefacteur. Passée ironiquement de l’autre côté de la barrière, Rescuecom ne pouvait supporter longtemps une situation dans laquelle chaque victoire enregistrée dans son affaire face à Google pouvait lui desservir gravement dans son litige face à Best Buy. Il fallut donc faire un choix stratégique entre l’un ou l’autre de ces contentieux. Rescuecom préféra le plus récemment en dépit des sommes colossales investies dans sa bataille face à Google ; Rescuecom a définitivement ses raisons que la raison ignore…
En définitive, Rescuecom se lance dans cette nouvelle bataille aux côtés du moteur de recherche en adoptant une défense aux antipodes de son argumentation usitée dans la précédente affaire. Heureusement, qu’il n’existe pas de délit de mauvaise foi…




vendredi 5 mars 2010

Adwords : une première victoire de Google dans l’affaire « Styrotrim »

Le moteur de recherche vient de gagner des points dans ce contentieux très classique relatif à un titulaire de marque s’estimant victime du système AdWords. En l’espèce, Daniel Jurin titulaire de la marque « Styrotrim » appliquée à du matériel de constructions’estime lésé par (i) le fait que Google suggère dans son générateur de mots-clés sa marque ainsi que par (ii) la réservation effective de sa marque à titre de mot-clé par des concurrents grâce au programme Adwords… Rien de bien original à vrai dire ! La seule chose qui sorte cette affaire du lot est le fait qu’après avoir abandonné des poursuites engagées en juin dernier à l’encontre du moteur de recherche en raison d’un désaccord avec son avocat, Daniel Jurin est revenu à la charge le 22 octobre dernier avec une nouvelle plainte déposée devant la cour du District Est de l’Etat de Californie. Outre la contrefaçon de marque, cette plainte visait bien d’autres fondements que Google vient d’anéantir grâce au succès de sa « motion to dismiss » que le moteur avait engagée.
Dans une décision rendue lundi, le juge Morrison C. England, Jr., a en effet suivi l’argumentation de Google. Concernant premièrement l’allégation de « False Designation of Origin » (15 U.S.C. §1125(a)), le juge rappelle qu’il est nécessaire de prouver que le défendeur a volontairement essayé de se présenter comme l’origine de produits alors qu’en fait il ne l’est pas. En l’espèce, Google n’a pas tenté de se présenter aux yeux du public comme l’origine des produits commercialisés sous la marque « Styrotrim » à savoir… du matériel de bâtiment. D’ailleurs, le juge remarque qu’en tout état de cause, le fait que de nombreuses publicités s’affichent à partir du mot-clé exclut tout risque de confusion consistant à croire que toutes ces publicités proviennent de la même source c’est-à-dire le titulaire. Cet argument surabondant donné au détour de l’appréciation de l’allégation de « False Designation of Origin »sera peut-être décisif lorsqu’il s’agira d’apprécier la contrefaçon !
Concernant l’allégation de « False Advertising » (15 U.S.C. §1125(a)(1)(B)) ou publicité mensongère, le juge remarque très simplement que dès lors que le demandeur et le défendeur ne sont absolument pas concurrents, le chef de publicité mensongère ne peut être retenu même si Google fournit un outil publicitaire à des concurrents tiers.
Concernant les autres allégations, à savoir « Negligent Interference with Contractual Relations », « Propsective Economic Advantage », « Intentional Interference with Contractual Relations and Prospective Economic Advantage », « Fraud » et « Unjust Enrichment », le juge conclut que Google est immunisé en tant qu’intermédiaire technique sur le fondement du « Communications Decency Act » (v. 47 U.S.C. §§ 230(c)(1)).
En définitive, il ne reste plus aujourd’hui que l’allégation principale de contrefaçon de marque. Cette première décision donne peut-être quelques indices sur comment ce même tribunal considérera cet autre fondement dans quelques semaines. En tout état de cause, Daniel Jurin doit se mordre les doigts d’avoir payé les services de deux avocats pour au final être entendu sur une simple plainte pour contrefaçon de marque très peu originale…




jeudi 4 mars 2010

Le reverse domain name hijacking ou la comedia dell'arte des noms de domaine

La technique du « reverse domain name hijacking » également connue sous le nom de « reverse cybersquatting » consiste dans l’engagement d’une action judiciaire « bidon » par un titulaire de marque à l’encontre du propriétaire légitime d’un nom de domaine en l’accusant, en toute mauvaise foi, de cybersquatter. Cette technique est explicitement visée par le paragraphe 15(e) des règles UDRP : « Si après avoir considéré la demande, le panel observe que l’action a été engagée en toute mauvaise foi dans l’objectif, par exemple, d’un Reverse Domain Name Hijacking ou a été engagée pour harceler le propriétaire du nom de domaine, le panel devra déclarer dans sa décision que l’action a été engagée en toute mauvaise foi et qu’elle constitue une procédure administrative abusive ». Néanmoins, aucune sanction n’est associée à cette qualification ce qui rend cette technique intéressante aux seuls juristes spécialisées qui peuvent y trouver une certaine satisfaction intellectuelle. Les cas sont, cependant, suffisamment rares pour attirer l’attention. En effet, seulement une dizaine de décisions OMPI statuant en vertu des règles UDRP ont qualifié cette procédure abusive avec parmi les plus significatives, celles rendues dans l’affaire Deutsche Welle v. DiamondWare Limited, Case No. D 2000-1202 (2000), dans l’affaire FCC Fomento de Construcciones y Contratas, SA v. “FCC.COM”, Case No. D2007-0770 (2007) et récemment dans l’affaire Urban Logic, Inc. v. Urban Logic, Peter Holland, Case No. D2009-0862 (2009).
L’affaire « bibibaby.com » qui a donné lieu à une récente décision Lamprecht AG v. Emily Dubberley, Case No. D2009-1777 (2010) s’inscrit dans cet ensemble de décisions rares. En l’espèce, le demandeur était une entreprise suisse spécialisée dans des produits pour bébés, titulaire de la marque BIBI enregistrée en Suisse. Ce demandeur détient un certain nombre de noms de domaine dérivés de cette marque et notamment « bibi-baby.com ». Le défendeur était une entreprise britannique qui avait réservé le nom de domaine « bibibaby.com » en 1992 pour notamment la maintenance d’un site de rencontre pour femmes bisexuelles.
Sur la première condition, le panel conclut à un risque de confusion entre le nom de domaine litigieux et la marque. Concernant la seconde condition, le panel considéra, en revanche, que le défendeur a prouvé un intérêt légitime dans la réservation du nom de domaine. En effet, le défendeur expliqua qu’il avait choisit ce nom de domaine en raison d’un jeu de mots avec la chanson populaire en Angleterre « Bye Bye Baby » et le terme « bisexual ». Peu importait le goût de ce jeu de mot… le panel considéra à juste titre que le défendeur avait un intérêt légitime. Enfin, au surplus, le panel conclut que le demandeur n’a pas prouvé la mauvaise foi du défendeur qui enregistra le nom de domaine en liaison avec son activité et non dans l’objectif de le revendre comme tout bon cybersquatter l’aurait fait.
C’est en fait à la fin de cette analyse que le panel livre son opinion la plus intéressante en déclarant que cette plainte « a été initiée seulement après que le défendeur ait décliné son offre de rachat du nom de domaine litigieux. En outre, le panel n’est pas satisfait du fait que le demandeur était conscient au moment de l’engagement de sa plainte du site internet initial et des activités du défendeur. Dès lors, le panel n’a pas souhaité rendre une décision [en faveur] de ce reverse domain name hijacking ». Il semble que cette constatation d’un reverse domain name hijacking ait compté dans la décision du panel même si il n’est pas possible, en l’état des règles UDRP, de tirer des conséquences de cette qualification. Peut-être serait-il temps de modifier les règles sur ce point notamment eu égard au nombre croissant d ‘affaires dans lesquels les demandeurs engagent des poursuites abusives contre des soi-disant cybersquatters…




mardi 2 mars 2010

L’usage parodique de marque à des fins militantes est couvert par le 1er Amendement

L’affaire « ProtectMarriage.com » est une affaire classique de contrefaçon alléguée de marque par un usage parodique à des fins militantes. En l’espèce, le demandeur est une organisation militante qui a pour objet de défendre la « proposition 8 » consistant en un amendement ajouté à la Constitution de l’Etat de Californie en 2008 et qui définit le mariage restrictivement comme l’union d’un homme et d’une femme. Dans toutes ses activités militantes, le demandeur utilise la marque ProtectMarriage dont le logo représente un couple hétérosexuelle et ses deux enfants. Le défendeur est pour sa part une organisation militant pour les droits des homosexuels. Dans le cadre de ses activités sur internet, le défendeur a utilisé un logo très similaire à celui du demandeur avec néanmoins pour différence l’ajout d’une robe au personnage censé symboliser le père, suggérant ainsi un couple homosexuel.
Après avoir rappelé la jurisprudence de la Cour d’appel du 9e Circuit, la cour de District Est de Californie conclut que l’usage en cause peut être qualifié d’expression politique protégé à ce titre par le Premier Amendement de la Constitution des Etats-Unis. La cour ajoute d’ailleurs que tout risque de confusion avec les activités du demandeur est dissipé par l’ensemble du site internet qui présente des photographies et des textes en faveur de la cause homosexuelle. Dès lors, la contrefaçon de marque n’est pas caractérisée. Enfin, la cour souligne que la jurisprudence sur laquelle le demandeur fondait son argumentation était relative à des faits où le défendeur vendait des produits ou services associés à l’usage parodique de la marque du demandeur. En l’espèce, le défendeur n’a pas pour visée un quelconque bénéfice économique mais seulement une expression d’idées politiques et militantes. Ainsi, il n’y a pas un usage abusif de la liberté d’expression.
La cour du District Est de l’Etat de Californie rejette donc la demande d’injonction préliminaire qui doit répondre aux quatre critères suivants : (i) la probabilité de succès sur le fond, (ii) l’existence d’un possible dommage irréparable souffert par le demandeur en l’absence de l’injonction préliminaire, (iii) le respect de l’équilibre des intérêts en cause et (iv) enfin, le respect de l’intérêt général. Cette décision est conforme à la jurisprudence en vigueur dans le 9e circuit fédéral et notamment depuis l’arrêt Dr. Seuss Enters., L.P. v. Penguin Books USA, Inc., 109 F.3d 1394 (9th Cir. 1997) qui considère que la contrefaçon de marque n’est pas qualifiée à partir du moment où l’on est en présence d’une parodie de marque non susceptible de causer un quelconque confusion dans l’esprit du public.

Voici l'aperçu de la marque du demandeur (à gauche) et de la parodie du défendeur (à droite):











nb: La seule différence notable (au-delà du texte au dessus des personnages) est la jupe ajoutée au personnage de gauche. C'est d'ailleurs sur ce point que le tribunal qualifie l'usage de parodique et qu'il relie cet usage à l'expression d'idées militantes.



ProtectMarriage.com - Yes on 8 v. Courage Campaign (E.D. Cal., 2010)