mardi 15 juin 2010

L’affaire « Everest Poker » : contrefaçon de marque, poker en ligne et gros sous…

L’affaire « Everest Poker » est un contentieux qui a débuté au mois d’avril dernier opposant le site de poker en ligne « Everest Poker » maintenu par la société Ultra Internet Media S.A., et la société Harrah’s Entertainment Inc. organisant les World Series of Poker. En effet, Ultra Internet Media a engagé une action en responsabilité contractuelle à l’encontre de la société Harrah’s Entertainment devant la cour de district du Nevada. Le cœur du contentieux consiste en un accord de partenariat entre les deux sociétés prévoyant que le site Everest Poker serait le sponsor officiel des World Series of Poker 2008 et 2009. Selon les dires d’Ultra Internet Media, l’accord aurait prévu le paiement de pas moins de 22,5 millions de dollars sur lesquels cette société aurait déjà payé 6,2 millions de dollars au titre de l’édition 2008 des World Series of Poker et 7,9 millions au titre de l’édition 2009. En fait, Ultra Internet Media refuse de payer les 8,4 millions restants qui auraient été prévu pour cette année, sans doute estimant que les retombées des campagnes publicitaires lors des deux éditions précédentes n’étaient pas suffisantes eu égard au prix déboursé. En dépit de ce refus de paiement, Ultra Internet Media a décidé d’engager l’action en responsabilité contractuelle en raison de la rediffusion en France des World Series of Poker sur la chaîne RTL9 qui eu pour particularité d’afficher le logo du principal concurrent de cette société, Full Tilt Poker, à la place du logo du site Everest Poker. De son côté, la société Harrah’s Entertainment déclare que le contrat de sponsoring ne couvrait que le territoire des Etats-Unis et a présenté une demande reconventionnelle pour rupture abusive du contrat.
Ce contentieux engagé en avril aurait pu en rester à ces demandes. Seulement, Ultra Internet Media vient d’engager une action en contrefaçon de marque à l’encontre de Harrah’s Entertainment qui utilise le logo du site Everest Poker dans le cadre de l’organisation des World Series of Poker 2010. Le logo aurait ainsi été utilisé sur certaines tables de poker mais aussi sur des affiches et bannières. Dans sa plainte, Ultra Internet Media se plaint en fait de deux choses. Premièrement, cette utilisation de son logo sans son accord nuirait à son contrôle sur l’image de sa marque et sur sa renommée. Deuxièmement, cet usage sans autorisation aurait pour objectif non avoué de forcer Ultra Internet Media à payer les montants encore dus au titre du contrat de sponsoring. Pour le moment, Harrah’s Poker n’a pas commenté cette nouvelle action. Toutefois, Harrah’s avait déjà indiqué, en ce qui concerne l’action en responsabilité contractuelle, que Ultra Internet a « bénéficié d’une exposition de son site everestpoker.net [sans précédent] qu’elle n’aurait jamais pu espérer, et même plus ». Cette remarque semble parfaitement convenir à cette nouvelle action. En effet, de deux choses l’une : soit Ultra Internet Media est vraiment pointilleuse et imagine que laissez-faire pourrait lui porter préjudice dans le premier contentieux soit Ultra Internet crache dans la soupe car cette nouvelle exposition pourrait être plus que entable si elle gagne le premier contentieux (ce qui reviendrait à de la publicité gratuite)… Sans mauvais jeu de mot, cette seconde hypothèse serait un véritable coup de poker qu’Ultra Internet Media devrait tenter. Affaire à suivre !


lundi 7 juin 2010

EA Sports Active 2.0, un jeu contrefaisant ?

Le géant des jeux vidéo, EA Sports, était sur le point de lancer « EA Sports Active 2.0 » compatible avec les consoles Wii et Playstation 3 ainsi qu’avec l’IPhone, nouvelle version de ce jeu interactif organisant un véritable programme de fitness pour ses utilisateurs. C’était sans compter sur cette plainte déposée la semaine dernière par la société « The Active Network » exploitant le nom de domaine « active.com » redirigeant vers son site de partage d’informations sur différents sports, loisirs et évènements. Au cœur de cette plainte se trouve le signe distinctif « ACTIVE », lequel aurait été enregistré en 2008 et utilisé depuis 1999 par la société demanderesse en relation avec « la fourniture d’informations relatives à la programmation de sports participatifs, d’activités de loisirs et d’évènements sportifs ; [la fourniture] de services d’entraînements sportifs tels que la fourniture et la programmation d’entraînements personnalisés ». En fait, The Active Network souligne de manière très intéressante toutes les similitudes existantes entre ses services fournis par le biais de son site internet et le jeu créé par EA Sports tels que la création en ligne de programme d’entraînement de fitness, l’organisation de chats pour échanger les points de vue sur ces activités et le suivi en ligne des activités, des calories, des battements du cœur, du poids et de bien d’autres données relatives à l’utilisateur.
Bien évidemment, cette plainte peut être critiquée en ce que EA Sports a déjà lancé et commercialisé une première version de son jeu en usant du signe distinctif « ACTIVE ». Toutefois, la société demanderesse a prévu ce contre-argument et souligne que les anciennes versions du jeu de fitness ne fournissaient pas de contenu en réseaux à l’inverse de la présente version 2.0. Dès lors, le risque de confusion avec son site internet était bien moins certain. Pour le moment, les responsables d’EA Sports n’ont pas souhaité s’exprimer sur le sujet. A noter que The Active Network demande aux juges d’empêcher la sortie de cette nouvelle version du jeu de fitness ainsi que l’interdiction de commercialiser tout jeu utilisant la marque « ACTIVE » et s’appuyant sur des activités en réseaux. En outre, la société demanderesse exige 75.000 dollars de dommages et intérêts (punitifs) ainsi que la participation aux frais d’avocats. La bataille est lancée avec à la clé – pour EA Sports – le lancement de la nouvelle version d’un jeu très attendu !


lundi 31 mai 2010

Cybergriping : Le maire de Bordentown exige la fermeture du site

Voici une nouvelle illustration intéressante du phénomène assez controversé appelé « cybergriping » consistant à enregistrer et utiliser un nom de domaine reproduisant en tout ou partie le nom d'une marque ou d'une personne célèbre en l'associant à un terme péjoratif. Il s’agit, en l’espèce, d’un site accessible à l’adresse « BordentownMayorReallySucks.com » contenant un certain nombre de critiques vis-à-vis de la politique menée par les représentants de la ville de Bordentown dans le New Jersey et en particulier son maire, James E. Lynch, Jr.. C’est ce dernier qui a réussi à faire passer une résolution au conseil municipal destinée à faire fermer le site. Les fondements juridiques sur lesquels repose la résolution seraient notamment la violation d’une loi protectrice des consommateurs, le maire de Bordentown s’inquiétant que le public d’attention moyenne soit amené à croire que ce site est le site officiel de la ville ou du moins sponsorisé par celle-ci. Un argument frisant l’absurdité dans la mesure où le nom de domaine « BordentownMayorReallySucks.com » annonce d’emblée la couleur ! Toutefois, il convient de noter qu’à l’origine, le site était accessible à l’adresse “bordentownmayor.com”, ce qui pouvait plus raisonnablement susciter la confusion des électeurs.
Au-delà du risque de confusion, James E. Lynch, Jr., s’estime également victime de diffamation et d’injure au regard du contenu du site. Il aurait en effet déclaré : « Ce site doit être fermé. Je ne vais pas m’engager sur la pente de la liberté d’expression. Mais certains propos en ligne sont dommageables. Vous voulez publier des informations en ligne ? Très bien. Dire haut et fort que vous ne m’aimez pas? Très bien. Mais des attaques à l’encontre de ma femme et de ma fille? Je ne laisserai pas faire ». Le seul problème est que ces soi-disant propos ne sont plus en ligne depuis un moment et le site décrié est, semble-t-il, consacré aujourd’hui à la seule critique de la politique menée par le maire. Quoi qu’il en soit, la résolution municipale a principalement pour objet de demander à l’hébergeur d’empêcher l’accès au site et de divulguer les données personnelles relatives aux créateurs du site critique. Cette demande à, toutefois, peu de chance d’aboutir en l’absence d’une procédure judiciaire adéquate.
En définitive, cette croisade orchestrée par le maire de la ville de Bordentown risque bien de se retourner contre son instigateur dans la mesure où les électeurs voient généralement d’un mauvais œil toute tentative de restriction de la liberté d’expression, qu’elle soit légitime ou non. En tout cas, d’ici que la justice se saisisse de l’affaire, le maire de la ville aura sans doute déjà terminé son mandat.


vendredi 28 mai 2010

Affaire « Crédit Mutuel » : un typosquatting flagrant

Le professeur Jérôme Huet, fondateur et directeur du Centre d’Etudes Juridiques et Economiques du Multimédia (CEJEM), vient de rendre une décision technique en tant qu’expert auprès de l’OMPI dans une affaire Confédération Nationale du Crédit Mutuel c/ Adrienne Bonnet, Litige n° DFR2010-0008 (WIPO May 10th, 2010). Il s’agissait en l’espèce d’une particulière dénommée Adrienne Bonnet qui avait enregistré le nom de domaine « reditmutuel.fr » le 1er décembre 2009 en fournissant une adresse postale incorrecte. N’ayant pas réussi à la joindre suite à diverses mises en demeure successives, le Crédit Mutuel engagea donc, devant le Centre d’Arbitrage et de Médiation de l’OMPI, une Procédure Alternative de Règlement des Litiges (PARL) à laquelle est applicable le Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” entré en vigueur le 22 juillet 2008. A noter que la défenderesse ne se rendit pas devant l’expert et ne présenta donc malheureusement aucun argument en défense. Suivant l’article 20 (c) du Règlement précité, il convenait en l’espèce de vérifier que (i) le requérant justifie de ses droits sur l'élément objet de ladite atteinte et (ii) que l'enregistrement ou l'utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers ou aux règles de la concurrence.
Concernant la première condition, l’expert conclut naturellement à la justification de droits par le Requérant sur l’élément objet de l’atteinte puisque celui-ci est titulaire de la marque renommée « CREDIT MUTEL » et titulaire de divers noms de domaine dérivés de cette marque parmi lesquels « creditmutuel.fr ». Concernant la seconde condition, l’expert souligne que « La simple adjonction de l’extension nationale <.fr> est liée à des considérations techniques et n’a pas a être prise en considération lors de l’appréciation de l’identité ou de la similitude du nom de domaine avec la marque antérieure renommée CREDIT MUTUEL » (v. en ce sens, Baccarat S.A v. Jacques Touroute, Litige OMPI No. DFR2008-0001). En outre, la seule différence entre le nom de domaine litigieux et la marque protégées consistant en la suppression de la seule lettre « c », le risque de confusion demeure puisque cet enregistrement s’apparente à du typosquatting (v. Crédit Industriel et Commercial, Conféderation Nationale du Crédit Mutuel v. Owen WEBSTER, WIPO Case No. D2006-0165). La mauvaise foi, qui semble lourdement présumée dans cette décision, est également suffisamment démontrée par la fourniture de coordonnées erronées au sein du WHOIS par la défenderesse. Enfin, concernant l’utilisation du nom de domaine, l’expert s’appuie sur le fait que celui-ci redirige vers un site parking, c’est-à-dire une page sur laquelle ne se trouvent que des publicités. Cette utilisation a donc pour « objectif un gain construit sur la marque renommée d’autrui et représente indéniablement un acte de concurrence déloyale et de parasitisme au détriment du Requérant ». Cet élément vient donc confirmer l’existence d’un acte frauduleux (v. également en ce sens, Crédit Industriel et Commercial (CIC) contre Pneuboat Sud, Litige OMPI No. DFR2004-0005 ; Confederation Nationale du Crédit Mutuel contre Ambroise Breleur, Litige OMPI No. DFR2009-0001 ; Banque Laydernier et Crédit du Nord contre Jeremie Guyot, Litige OMPI No. DFR2008-0027). Dès lors, l’expert ordonne le transfert du nom de domaine « reditmutuel.fr » au Requérant.
En définitive, voici une affaire bien réglée qui témoigne une fois de plus de l’essor du typosquatting et des sites parkings qui y sont généralement associés. Un autre fait intéressant de cette affaire est le cas de plus en plus fréquent de la fourniture d’une fausse adresse au WHOIS. Néanmoins, n’aurait-il pas été possible au Requérant d’obtenir de telles informations auprès de la régie publicitaire par laquelle la défenderesse obtenait des rémunérations fondée sur son comportement frauduleux ? Cette piste est sans doute à explorer…


Confédération Nationale du Crédit Mutuel c/ Adrienne Bonnet, Litige n° DFR2010-0008 (WIPO May 10th, 2010)